Le système financier s’écroule, les marchés baissent chaque jour un peu plus, l’idéologie la plus libérale nationalise les banques à tout va. Et quand l’Islande en faillite se tourne vers la Russie, comme d’autres vers la Chine ou l’Inde, les Américains se rendent compte que la puissance politique allant de pair avec la puissance économique, ils sont en train de perdre les deux.
C’est dans ce contexte de panique que va avoir lieu dans 23 jours l’élection présidentielle américaine. En trois semaines, les données ont été bouleversées. Les sondages dans les Etats susceptibles de faire basculer l’élection, Floride, Colorado, Nevada, Ohio, réservent des surprises quotidiennes. Quoi, la Floride, symbole de la vraie-fausse victoire de Bush en 2000 pourrait voter pour Obama ? L’Ohio, qui a été remporté par tous les Présidents élus depuis 1960, pourrait tomber dans l’escarcelle démocrate ? La Virginie conservatrice, elle aussi ? Et que dire de la Virginie Occidentale qui n’a pas voté démocrate depuis 12 ans ou de la Caroline du Nord républicaine depuis plus de 30 ans, et qui deviennent à leur tour indécises ? Les Républicains qui ont gagné sept des dix dernières élections présidentielles américaines commencent à se dire qu’ils pourraient bien perdre celle-ci. Et les Démocrates, pourtant très prudents, commencent à espérer la victoire. Mais ils savent qu’ils doivent rester vigilants face à des sondages qui furent trop souvent trompeurs. Ils se rappellent aussi les campagnes de dénigrement de dernière minute lancées contre John Kerry en 2004, et qui l’ont abattu. Ils espèrent enfin que le sujet majeur des semaines à venir demeurera l’économie et qu’Al Qaida, quelques jours avant le 4 novembre, ne déclenchera pas une série d’attentats qui serviraient McCain.
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La crise, elle, a aidé Obama. Ce n’est pas en effet lui faire injure que souligner que les événements le portent depuis deux à trois semaines plus qu’il ne les domine. La Une des journaux aux titres inquiétants et aux courbes descendantes, font plus pour Obama que les solutions qu’il propose.
Cela m’a semblé évident lors du deuxième débat qui a opposé les deux candidats mardi soir. Tout le monde a dit qu’Obama avait largement gagné. Certes, il avait une stature plus présidentielle que son adversaire, et McCain - même s’il semblait avoir moins de distance avec le public - abusait d’un « mes amis » trop fréquent pour être spontané. Certes, Obama exposait les priorités de son programme (énergie, assurance maladie, éducation) sans tenter d’improviser comme le fit McCain sur la crise immobilière. Certes, Obama était posé et souriant quand McCain était un brin méprisant, désignant du geste son adversaire comme « that one », « celui-là », sans prononcer son nom. Mais tandis que le monde est peut-être en train de glisser d’une philosophie du marché-roi (dogme sacré aux Etats-Unis) vers une philosophie de la régulation, le même débat entre eux deux « Vous voulez augmenter les impots ! » - « Non je vais les baisser pour 95% de la population ! » aurait pu avoir lieu, il y a deux mois avant que la crise n’explose, et ne fasse trébucher l’Empire Américain. La domination de Barack Obama dans les sondages est aujourd’hui moins dans l’originalité du programme qu’il propose que dans la conviction des électeurs qu’un démocrate à la barre serait meilleur qu’un républicain, comptable des erreurs et de l’idéologie de l’administration actuelle. On avait l’impression que les deux candidats prenaient verbalement en compte l’actualité de ces derniers jours, mais que leurs propositions restaient les mêmes qu’avant la débâcle. Ce n’est pourtant pas l’heure, pour les héros, d’être fatigués.
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Les amis de McCain deviennent furieux. Dans les meetings républicains, l’élu local qui présente le candidat désigne désormais son adversaire démocrate en insistant sur ses deux prénoms, Barack Hussein Obama. Les intervenants interpellent McCain avec colère en constatant que le candidat démocrate et noir risque de gagner l’élection. Les Républicains - Sarah Palin en tête – essaient aussi de grossir une vieille histoire : celle d’une relation, -apparemment ténue, entre Obama et Bill Ayers, un ancien opposant radical à la guerre du Vietnam, passé à l’action violente dans les années 60 en posant des bombes auprès d’édifices publics ou de maisons privées. Il y a 40 ans de cela, quand Barack Obama avait huit ans. Depuis, même si Ayers ne regrette toujours rien, il a été pardonné, il est aujourd’hui professeur à l’Université de Chicago, a appuyé les tous débuts en politique d’Obama dans cette ville et l’a croisé ensuite de loin en loin. Les plus sages parmi ceux que déroute le parcours d’Obama, se posent des questions sur le caractère d’un homme qui, du Pasteur Wright à Bill Ayers, a eu des fréquentations peu recommandables, mais a été assez astucieux pour ne jamais relayer leur parole. Les mêmes, pourraient aussi bien relever certaines accointances de McCain, obligé de se désolidariser d’un pasteur qui le soutenait, après une polémique sur ses déclarations jugées antisémites. Tout cela relève d’une controverse légitime. En revanche, le débat devient détestable, quand la campagne de McCain cherche à faire peur et innonde les ondes de nombreux spots publicitaires désignant Obama comme un ami des terroristes et un homme dangereux. Quant à Fox News – la chaîne de télévision pour laquelle McCain est le Bien et Obama le Diable – elle présentait cette semaine une enquête sur les réseaux activistes aux Etats-Unis en concluant ainsi : « Si vous avez aimé Hugo Chavez et Fidel Castro, vous adorerez Obama qui, à la Maison Blanche fera une politique socialiste sur le sol américain ». Suprême injure ici ! Je n’avais pas entendu de propos aussi outranciers depuis ceux de Michel Poniatowski agitant le spectre des chars soviétiques paradant Place de la Concorde en cas de victoire de Mitterrand. C’était déjà risible à l’époque, mais c’était il y a bientôt 30 ans... C’est dire la panique qui saisit les Républicains devant la possibilité d’une victoire d’Obama, qu’ils considèrent toujours comme illégitime. Conscient peut-être que les choses vont trop loin, McCain a corrigé hier soir, non sans panache. Il a rendu hommage à Obama « qui est une personne honorable et qui mérite d’être Président des Etats Unis, même si je sais que je ferais un meilleur Président que lui. » Double langage, ou belle sincerité qui rappelle l’ancien McCain, celle d’avant la campagne haineuse? La foule en colère, a hurlé « boooh » à ces propos. Elle répond peut-être pour lui : qui sème le vent…
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