Mardi, avec les dernières primaires démocrates, va se clore un chapitre de la longue marche électorale américaine. L’ultime joute des deux gladiateurs, archétypes d’un combat de rêve: « La Femme », initialement femme de, aujourd’hui émancipée, toujours belle, opiniâtre, vibrante d’intelligence et de compétence, héroïne d’une Amérique pauvre et délaissée, contre « Le Noir » au sourire magique, orateur envoûtant et électrique, espoir des jeunes, des Afros-Américains et des électeurs les plus instruits.
Mais la vraie bataille commence. La politique est partout dans la capitale, au travail, au café, à la porte des maisons où les gens affichent leur préférence, ici largement favorable à Barack Obama. Les débats des cercles washingtoniens sont vifs, mais amicaux : l’on s’étripe entre partisans avec conviction mais aussi, me semble-t-il, plus de fraternité joyeuse que dans nos démocraties européennes.
Mes interlocuteurs de la semaine sont très impliqués au sein du Parti Démocrate. Ils craignent que le combat soit difficile pour Obama, le jeune conquérant, face à McCain, le vieux heros. Ils soulignent avec inquietude que, si 32 millions de Democrates et 20 millions de Republicains se sont exprimés durant ces six mois de primaires, 70 autres millions d’Américains voteront en novembre. Jusqu’ici, seule a pris la parole la fraction la plus vivante des Etats-Unis, celle qui - tous partis confondus - souhaite s’affranchir du double mandat de Bush rejeté par 71% de la population. Mais l’autre Amerique n’a encore rien dit. Celle qui est soucieuse de couverture santé, mais indifférente au reste du monde, celle des sans-grades qui brandissent le drapeau et revendiquent bruyamment leur liberté y compris celle de porter une arme, celle nourrie de soaps télévisés et de burgers trop dodus. Celle, au fond, qu’alarme l’idée d’un Président noir. Et encore une fois, comme en 2000, comme en 2004, disaient mes hôtes démocrates d’un soir, si c’était cette Amerique profonde qui avait le dernier mot ?
Trois petites leçons d’une campagne américaine: se méfier de l’Histoire, des gaffes, et des pasteurs.
L’Histoire, d’abord, dont les citoyens américains sont si fervents. Celle de la guerre du Vietnam avec McCain qui y resta 6 ans prisonnier: est-il le prototype du héros invincible, ou du soldat sur lequel les tortures du Vietcong auraient laissé des séquelles? Celle des ombres des Kennedy ou de Martin Luther King qui rodent dans les pas d’Obama: est-il comme eux, l’icône de leur generation, ou surfe-t-il sur leur image ? Celle aussi des années Clinton, prospères mais scandaleuses, qui hantent le chemin d’Hillary: Bill a-t-il finalement aidé ou encore une fois desservi sa femme? Celle encore de la vraie-fausse victoire de George Bush contre Al Gore en Floride en 2000, et sur laquelle un téléfilm, “Recount”, est diffusé à point nommé : triomphe du vote populaire ou des tripatouillages électoraux ? Et enfin cette semaine, l’Histoire des boys de la Seconde Guerre Mondiale : Obama, s’est vanté d’avoir un grand-oncle ayant, en avril 1945, libéré Auschwitz alors qu’il s’agissait d’un sous-camp de Buchenwald. Et la presse de s’interroger: est-ce une erreur vénielle ou une nouvelle bevue ?
Les gaffes en effet jalonnent la campagne. Celle de McCain, confondant sunnites et chiites dans une vision manifestement vague d’un Moyen-Orient intégriste. Celle, malhabile, de Michelle Obama, déclarant que son mari acclamé par les foules et sans doute futur candidat, la rendait, pour la première fois de sa vie, fière de son pays. Et la dernière bourde d’Hillary Clinton, (qui s’etait déjà illustrée par son recit fantaisiste d’une arrivée sous les balles des snipers en Bosnie), expliquant, sur le thème de “souvenez-vous donc de l’assassinat de Bobby Kennedy” que tout peut arriver dans une primaire démocrate qui se prolonge jusqu’en juin !...
Quant aux pasteurs, éminences grises ou soutiens fervents, ils envahissent l’espace dans ce pays religieux. Souvent pour le pire. On se souvient bien sur, de l’épisode du contestable Révérend Wright dont Obama a fini par rejeter le soutien. La semaine dernière un télévangeliste célèbre, grand supporter de McCain, n’a pas hésité à qualifier l’ouragan Katrina de châtiment pour les homosexuels prêts à défiler pour la gay-pride, et Hitler de soldat de Dieu ayant enfin permis aux Juifs de retrouver la terre d’Israël ! Certes, une si longue campagne porte témoignage d’une démocratie vivante, mais relève souvent aussi de la conduite sur verglas.
Le dernier exocet contre l’administration Bush vient de sortir, sous la forme d’un livre explosif, celui de Scott McClellan, qui fut pendant 3 ans le porte-parole de la Maison Blanche. A ce poste, on n’est pas censé tout dire, on n’est pas censé non plus mentir. Or son livre Ce qui s’est passe a la Maison Blanche de Bush, ou la culture de la desinformation, est la première confession d’un proche du Président : l’administration a trompé tout le monde pour “vendre” le bien-fondé de la guerre en Irak, et cette propagande fut délibérée. Que l’auteur soit déloyal à son camp et tardivement saisi par le remords, est accessoire. En fait, au-dela de Bush lui-même, il y deux victimes potentielles à ce brûlot : John McCain qui défend âprement le maintien de troupes en Irak, et qui raille Obama de ne pas s’y être rendu depuis plus de 800 jours. L’aveu que cette guerre fut aussi une immense duperie, ne va pas l’aider dans sa rhétorique.
Mais une victime collatérale pourrait bien être la presse. Quoi ? Des journalistes qui ont eu la peau d’un Président menteur (Nixon) ou failli avoir celle d’un Président séducteur (Clinton), ont pu se laisser manipuler tous les jours par celui-là même qui avait charge de les informer? Voila qui fait mauvais genre au pays de la presse qui se veut la plus libre du monde ! L’indignation (palpable depuis deux jours sur les chaînes d’information) de ceux qui se sont ainsi fait rouler et qui vont chercher a se dédouaner par plus de méfiance ou d’insolence, risque de rendre la campagne encore plus implacable.
Anne Sinclair
Le premier commentaire... Personne n'a osé! Moi non plus...
Rédigé par : Charlotte | 19 mai 2010 à 01:01