Le temps est aux ouragans. Ces deux semaines de célébrations politiques que sont les deux Conventions américaines, ont planté le décor de la bataille à venir même si les objectifs étaient tres différents. Barack Obama devait gagner une stature présidentielle que beaucoup lui contestaient. Des militaires en brochette sont venus sur la scène de Denver, dire leur confiance dans le jugement du sénateur de l’Illinois. Bill Clinton, qui assurait, il y a peu, qu’Obama n’était qu’un conte de fées pour enfants, a admis sous les hourrahs qu’il était prêt pour le rôle de Président. Hillary qui l’a combattu âprement, a insisté pour qu’on l’investisse par acclamations. Ses 85 000 supporters ont fait des heures de queue, attendu l’orateur dans un stade brûlant sous le soleil, rocké sagement avec Stevie Wonder et photographié Al Gore ou Oprah Winfrey, même s’ils peinaient à suivre des discours dont le son, médiocre dans le stade, était réglé d’abord pour les 40 millions de téléspectateurs. De fait, le message d’Obama fut présidentiel, impeccablement lu au prompteur, sans un tremblement devant cette marée humaine, le menton légèrement levé de celui qui se sait le chef. Eloquent sur le social, ferme sur la politique étrangère, sévère pour un McCain qualifie de frère jumeau de Bush, il devait donner la certitude qu’il avait l’étoffe pour le job. Et à la sortie, la foule immense qui s’écoulait sans bousculade, pendant plusieurs heures, à travers d’étroites brèches dans les fils barbelés autour du stade, en était convaincue.
Puis Sarah vint. Pour McCain, il fallait à tout prix casser l’effet Obama et intéresser les medias étourdis par son concurrent. Aussi, c’est sur un coup de dés qu’il a joué le choix de sa co-équipière: une femme jeune, inconnue, pas du tout préparée à être Présidente des Etats-Unis, et conservatrice jusqu’à la moelle. Certains ont regretté qu’il ébrèche son image d’homme responsable, beaucoup ont ri devant l’inexpérience de la dame et le fracas médiatique familial qui l’entourait. Depuis mercredi soir où une salle bourrée à craquer a fondu d’amour pour elle, et où 37 millions d’Americains l’ont decouverte à la télévision, plus personne ne se moque. Sarah Palin a mis le feu chez les Républicains, par son assurance, et ses violentes attaques contre Obama. Son aisance et sa rage ont ravi des militants qui avaient besoin qu’on les dope un peu. Evidemment, ce n’était qu’un discours, écrit pour elle par d’autres, mais elle l’a lu avec ferveur. Chacun escomptait une harangue destinée aux fans déçues d’Hillary, or c’est la base Républicaine qu’elle a voulu et réussi a séduire. Karl Rove, l’ancien conseiller des campagnes victorieuses de Bush, va poursuivre sa stratégie: discréditer l’adversaire, et jouer la partie la plus conservatrice du Parti. Sarah Palin a habilement dissimulé ses convictions fondamentalistes (contre l’avortement et pour l’abstinence des jeunes, pour le port d’armes à feu et la peine de mort, contre le mariage homosexuel et pour l’enseignement du créationnisme à l’école), pour manier le bon vieux populisme: pour les petites villes contre les grandes cités, pour les “vrais” gens contre les élites, pour une droite blanche et décomplexée.
Les Democrates font la moue: elle n’a parlé ni des tourments économiques qui assaillent les Américains moyens, ni des problèmes de santé ou d’éducation, ni de cette guerre impopulaire. Mais l’Amérique profonde, elle, qui se reconnaît dans cette femme “comme tout le monde”, a retrouvé le sourire.
Apothéose des candidats, mais aussi de leurs familles. Celle des Clinton, père, mère, fille, à la Convention de Denver, celle de Barack et de Michelle bien sûr, celle enfin de Joe Biden, le Vice-President choisi par Obama. On sait désormais tout sur sa femme Jill, son fils Beau, son “Dad” et les leçons qu’il lui a transmises, et sa “Mom” de 94 ans venue sur scène sous les applaudissements.
Famille, aussi évidemment, à la Convention Républicaine. Laura Bush faisant un bilan élogieux des 8 ans de présidence de “l’homme que j’aime”, comme s’il était un pékin moyen. Cindy McCain affichant sa fille adoptive - objet d’attaques odieuses en 2000 de la part… des conseillers de Bush, les mêmes qui la célèbrent aujourd’hui comme le symbole d’une famille admirable!
Mais une fois de plus, la palme de ce que nous trouvons, nous, impudique, mais qui est ici la nécessaire indentification des politiques à la vie des citoyens, revient a la co-listière de McCain. La moitié du discours de la - peut-être - Vice-Présidente fut consacré a présenter un à un les membres de sa famille: son mari sportif “qui depuis 20 ans est toujours mon mec”, ses 5 enfants dont la jeune ado de 17 ans, enceinte de son copain de lycée et futur mari, exposée à la curiosité générale. Sans oublier le petit dernier, trisomique, qu’on se passa de bras en bras toute la soirée comme le trophée un peu choquant d’une famille heurtée par la vie, comme tant d’autres. On aurait sans doute aimé qu’un bébé de quatre mois, handicapé, ne soit pas dévisagé par tout un pays. Et que la jeune fille qui n’a pas voulu ou pu choisir la liberté de son corps soit épargnée… “Famille je vous hais” écrivait Gide devant les morales austères et les foyers clos. Que dire de ces portes et fenêtres béantes sur l’intimité ?
On avait presque oublié que c’était McCain le candidat, tant il parut éclipsé par la Nouvelle Star! Le héros du Vietnam fut surtout célébré pour son courage comme si la Présidence des Etats-Unis était la récompense appropriée à 5 ans de tortures subies il y a 40 ans. Son discours, jeudi soir, fut un peu plat et convenu, mais digne, respectueux et de haut niveau. Et son appel à se battre à ses côtés, ne manquait pas de classe. En fait les Républicains vont devoir être schizophrènes : incarner le changement tout en représentant eux-mêmes le Parti qui a failli depuis 8 ans, et attendre de McCain qu’il mette « son pays avant son parti » tout en faisant équipe avec une partenaire belliqueuse et orientée a droite. « Je hais la guerre » a dit McCain dans une belle envolée. L’équipe Obama-Biden va à son tour, après ces folles semaines, relancer les hostilités. Allo Hillary, bobo ?
Anne Sinclair
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