« Wow », comme disent les Américaines de Sex and the City, quelle semaine ! La crise a bouleversé encore une fois la campagne, les folles heures de Wall Street et du Congrès américain rythmant les journées de Washington. Nous sommes à 30 jours de l’élection, et le compte à rebours est à la une de tous les journaux comme à celle des shows télévisés, tel un gigantesque calendrier de l’Avent.
Lundi, la télé est en berne, après le rejet par la Chambre des Représentants du Plan Paulson de 700 milliards de dollars pour renflouer les mauvaises dettes des banques américaines. Plus personne ne s’intéresse à la énième intervention télévisée de Bush, triste pantin solitaire auquel on ne prête plus la moindre attention. Mardi, McCain et Obama appellent à l’union sacrée, mais continuent chacun de souligner les mensonges de l’autre. Mercredi, tout le monde décortique les sondages nationaux - qui n’ont aucune signification dans un pays où l’on vote par Etats, et où finalement, c’est dans quelques cantons d’un petit nombre d’entre eux que se jouera l’élection : Ohio, Pennsylvanie, Virginie, Nevada, Colorado, Floride. Déjà le Michigan serait perdu pour McCain, puisque son équipe - funeste présage - a dû plier bagage. Jeudi, puis vendredi, tout le monde respire, le Sénat et la Chambre des Représentants ont voté le texte amendé, qui ne résoud pas la crise mais accorde un répit aux banques. Toute cette tourmente profite, il est vrai, à Obama, mais contrairement à l’ensemble de la planète qui est certaine depuis des mois de la victoire du candidat démocrate, ici, la prudence règne, même si depuis deux semaines les sondages lui sourient. Encore en effet un mois de campagne et deux inconnues: d’abord, quelle sera l’ampleur de la participation ? Sans doute forte, compte tenu de la mobilisation des électeurs pour s’inscrire dès à présent sur les listes, ou pour voter avant l’heure en cas d’empêchement prévisible, ce qui sera le cas cette fois de 30% des électeurs. Ensuite, quelle sera la composition de ce nouvel électorat qui n’a jamais voté ? Combien de jeunes vont aller aux urnes ? Combien d’Afro-Americains ? Oui, il reste un mois, durant lequel le candidat démocrate ne doit surtout pas apparaître comme « the angry black man ». Il y fut attentif, avec succès - au risque même d’avoir l’air falot - dans le débat qui l’opposa à son rival, il y a dix jours. Il reste un mois aussi, durant lequel l’Américain moyen peut succomber à ce qu’on appelle le « Bradley effect » - du nom de ce maire noir et démocrate de Los Angeles qui visait en 1982 le siège de gouverneur. Il était donné vainqueur dans tous les sondages, y compris lors des sorties des urnes, mais dans l’isoloir, l’électeur préféra le conservateur blanc au progressiste noir. Il reste un mois enfin, pour que le citoyen américain se rappelle - selon les mots mêmes d’un éditorialiste modéré - que « la démocratie, ce n’est pas un régime où l’électeur moyen choisit des dirigeants qui lui ressemblent, mais où l’électeur moyen a la sagesse d’élire les leaders les plus compétents ».
Ce qui nous amène à Sarah Palin. Début septembre, elle était le plus sûr atout de McCain, à la fin du mois, elle était devenue un handicap. McCain devait ces derniers jours non seulement voler à son secours, mais aussi justifier un choix impulsif que beaucoup de Républicains eux-mêmes jugeaient irresponsable. Le débat de jeudi entre les Vice-Présidents potentiels était attendu comme un jeu du cirque où la douce brebis allait se faire dévorer par le méchant loup. Mais le cauchemar redouté par le camp McCain n’a pas eu lieu, Palin a tenu le choc devant les 70 millions de télespectateurs et cela en soi était déjà une victoire. Elle a su être habile : se présenter comme la représentante des « Joe Six Packs » (autrement dit des « Madame Michu »), était aussi un moyen efficace d’attirer les voix conservatrices des Etats clés du midwest. Certes, elle n’a pas répondu aux questions et s’en est tenue à ses fiches préparées. Certes, Joe Biden était impressionnant de compétence : il est apparu comme le plus solide pour assumer la charge de Président en cas de malheur - ce qui est la fonction première du Vice-Président, et ce qui relativise du coup l’impact de ce débat sur l’élection elle-même. Seuls finalement pèseront les deux derniers duels qui opposeront Obama et McCain mardi 7 et mercredi 15 octobre. Mais la superwoman des caribous de l’Alaska aura réussi à donner à McCain qui en avait bien besoin, un peu de répit pour se concentrer sur son rival. Exit donc le problème Palin et retour à la case départ : les courbes des sondages, aujourd’hui favorables à Obama peuvent-elles encore se croiser ?
Un mot sur les médias pour finir. Ma surprise est de les découvrir beaucoup moins neutres que ce que nous enseigne la vulgate journalistique sur la presse américaine. Combien de commentaires partisans, y compris sur les chaînes de télévision ! Fox News, tellement favorable à McCain, que la chaîne le déclare à 80% triomphateur du débat, quand tous les autres médias donnent Obama vainqueur. MSNBC, tellement favorable à Obama, que des heures entières sont consacrées à descendre en flamme McCain et Palin, si bien qu’on s’étonne de voir des supporters du candidat Républicain accepter encore de s’y rendre! Et combien d’éditorialistes de la presse écrite qui affichent clairement leur mépris pour « W », le-toujours-Président des Etats-Unis ! Combien d’articles politiques, dans les colonnes de journaux grand public non partisans, qui suggèrent que McCain serait « instable » ou « joueur »… Mais je veux simplement ici saluer les « Pinocchios » du Washington Post, comme un exemple de rigueur journalistique. Régulièrement, le grand quotidien de la capitale épluche sans complaisance les discours des politiques. Et décerne ses « Pinocchios » comme notre cinéma ses Césars ou plus exactement le « Canard Enchaîné » ses célèbres « Noix d’Honneur ». Ici l’assertion d’untel était fausse, là, son commentaire mal venu, ou là encore, sa façon de s’auto-célébrer, inconvenante. Gadget politiquement correct et bien-pensant? Peut-être. Mais incarnation quand même d’une Démocratie en Amérique, tout à la fois coûteuse et imparfaite mais exigeante et passionnée.
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