Ça devait être le clou de la campagne, Barack Obama au Daily Show de Jon Stewart!
L'objectif du président américain était de remobiliser et de réveiller l'enthousiasme de cet électorat jeune et progressiste, qui l'avait si fièrement porté à la présidence et dont on redoute aujourd'hui l'abstention en masse.
Il faut dire qu’accepter une invitation de Jon Stewart, ce présentateur/humoriste/satirique politique/critique des médias mais aussi businessman à succès, c'est à la fois s'assurer de parler à un public qu’on ne toucherait pas ailleurs, mais aussi prendre le risque de se frotter à un style caustique, voire aggressif, qui a ébranlé plus d’un invité par le passé. Car "The Daily Show with Jon Stewart", c’est environ deux millions de télespectateurs tous les soirs (en majorité des 18-34 ans), une liste impressionnante de politiques et de stars d’Hollywood et surtout une ligne politique qui a gagné en influence grâce au talent et à la personnalité de son presentateur. C'est généralement très drôle, acide, et critique.
Si bien qu’avant même sa venue, l’annonce de la participation d’un président en exercice à cette émission faisait débattre le tout Washington. Le matin de sa diffusion, le porte-parole de la Maison Blanche, Robert Gibbs, était monté au créneau pour défendre ce choix que d’aucuns considéraient inapproprié, trop risqué, voire même dangereux : "Je pense que les jeunes électeurs regardent cette émission, et que c'est un bon plateau où se montrer pour pouvoir les atteindre. Le président n'a jamais hésité à aller dans les endroits où les gens peuvent (justement) entendre son message".
On s’attendait donc à toutes les surprises et à toutes les questions. Mais comme souvent, l’effet de surprise n’était pas là ou on l’avait projeté. En effet, à la place du présentateur exubérant et impertinent, on a eu le droit à un Jon Stewart, sérieux, posé, presque trop refléchi, pas très bavard, bref, presque un intervieweur traditionnel. En face, c’est un Barack Obama compassé qui est arrivé devant un public pourtant entièrement acquis à sa cause, à entendre les applaudissements qui ponctuaient chacune de ses phrases pourtant bien banales . En tous cas, loin du BO moqueur, détendu et à l’aise dans toutes les situations qu’on avait connu pendant la campagne. Du coup, l'interview n'était pas bonne et le Potus, très plat et décevant.
Barack Obama était en permanence sur la défensive, et répétait encore et encore ce message qu’il lance sans relâche dans tous les meetings : "Vous savez, quand vous regardez ce qu’on a accompli : faire en sorte que 4 millions d’enfants, qui n’étaient pas couverts par l’assurance-maladie (de leurs parents) avant notre réforme, soient pris en charge par notre programme de couverture pour enfants (applaudissements); s’assurer que les compagnies de crédit ne puissent plus augmenter leur taux d’intérêt sans vous avertir – et plein d’autres choses encore… Nous avons avancé et réformé sur des sujets qui apportent une difference dans la vie des gens chaque jour. Maintenant, est-que cela est suffisant ? Non, donc j’entends bien – et je pense que les Démocrates qui se battent pour ces élections en ont conscience également – que les gens souhaitent voir encore plus de progrès.
Mais à ceux qui ont voté pour moi, (je voudrais dire que) mes attentes et mon espoir sont (demeurés intacts). Si vous regardez ce que nous avons accompli ces dix-huit derniers mois, dans des circonstances extrêmement difficiles, (vous pourrez constater) que nous avons déjà fait pas mal de choses que nous avions promises pendant la campagne et nous allons en faire encore plus dans l’année qui vient."
Jon Stewart lui reproche alors - très poliment pourtant - sa "timidité" et son "audace perdue", mais rien ne pouvait faire sortir BO de ses rails, il est demeuré ennuyeux et peu convaincant. Le meilleur moment - si l'on peut dire - c'est le slogan de d'Obama tourné par Jon Stewart en dérision à la façon dont un garçon maladroit drague une fille et s'enfonce encore plus : "vous vous êtes prensenté avec une rhétorique de haute tenue d'’espoir et de changement’ mais cette année, les Démocrates nous jouent plutôt du "s’il te plaît, baby, laisse moi encore une chance !", ("you ran on very high rhetoric, "Hope and Change," and the Democrats this year seem to be running on, "Please, baby, one more chance!"). Et là, au lieu de jouer avec le présentateur qui se demandait si on n’aurait pas dû ajouter des conditions préalables au "Yes We Can", c’est un président déstabilisé qui répond : "No, I think what I would say is, "Yes, we can, but — [audience laughs] — it is not gonna happen overnight." ("Je pense que ce que j’aurais dû dire, (c’est) ‘oui, nous le pouvons', mais ( et là, éclats de rires de JS et du public), on ne pourra pas tout changer en une nuit").
C'était raté, et surtout admettre que le fameux slogan avait vécu. Ce n'est jamais qu'une émission, et BO est déjà reparti sur le terrain. Mais révélatrice du désenchantement qui frappe l'Amérique et atteint le Président lui même.
Ce soir, pour répondre au show de Glenn Beck et des ultra conservateurs d'il y a deux mois, Jon Stewart prépare sa grande manifestation qui, espère-t-il, doit rassembler des dizaines de milliers de manifestants: "Rally to restore sanity" ("Le Rassemblement pour rester sain d'esprit"). Mais quelque chose de l'élan d'il y a deux ans a manifestement disparu.
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