Je ne sais pas si c'est le cas des tous les expatriés, mais même chez soi, on se sent un peu en décalage. Pas vraiment d'ailleurs, bien sûr, mais plus vraiment d'ici.
J'ai depuis huit jours un sentiment étrange de planète rétrécie. Or c'est d'autant plus bizarre, que le monde pour moi, est plus réduit à Washington où j'ai peu d'amis, quelques connaissances, et une vie beaucoup plus tranquille dans un pays, une société que je découvre, que j'observe, que je regarde avec gourmandise.
Alors qu'ici, j'ai ma famille, mes amis, mes quartiers, mes lieux de vie, mes habitudes, mes références, ma culture, mes journaux, ma langue.
Or il y a comme une distance qui s'est créée. Pas avec les proches bien sûr, mais peut-être avec les préoccupations d'une société parisienne que je connais bien. Ce qui me paraissait éminemment important me paraît beaucoup plus négligeable, et les petites choses qu'on ne voit plus à force de les côtoyer me heurtent plus fort qu'avant.
Deux exemples pour que ce discours ne soit pas abstrait: l'omni-présence et l'omni-absence de la crise. Les deux à la fois. Plus de sans abris que jamais dans les rues de Paris. Pas un carrefour sans quelqu'un qui vous tende son gobelet en carton pour qu'on y jette une pièce.
Plein de jeunes face à des emplois qui se ferment, des moins jeunes de 40/45 ans licenciés et qui se demandent s'ils retrouveront jamais un emploi. Et en même temps, une perception virtuelle de cette crise dont on parle tout le temps. Paris vide de la moitié de ses habitants pour cause de vacances d'hiver, des embouteillages incroyables sur les routes, les trains pris d'assaut, les pistes de ski pleines de monde.
Comme si deux mondes se côtoyaient, parallèles... Ceux des épargnés, et ceux des laissés pour compte.
On skie sur les pistes et la Guadeloupe va mal. Les enfants sont en vacances et la Recherche s'alarme. Les profs sont en grève, les parents d'élèves s'inquiètent, les razed (réseaux d'aide spécialisée aux élèves en difficulté) sont supprimés.
Ces institutions dont la France était si fière, cette Vème République - avec cette invention gaullienne géniale d'un couple Président/Premier ministre dont l'un sert de fusible à l'autre - sont réduites à un seul homme qui incarne tout à la fois: la loi, les propositions, l'ordre, le mouvement. Il n'y a plus de Premier ministre : plus personne ne crie son nom dans les manifs - souvenez vous de Juppé en 1995 qui avait pris sur lui la colère de la rue en épargnant Chirac - plus aucun syndicaliste ne s'adresse à lui. Il n'y a plus vraiment de ministres: leur parole est dévaluée et ils sont écartés en plein vol quand tout va mal et que le pilote reprend le volant lui-même. Situation pas forcément très saine d'un point de vue démocratique, mais franchement malsaine d'un point de vue politique. On a le sentiment qu'une étincelle peut tout faire flamber.
Obama qui suscitait tant de curiosité il y a deux mois encore, paraît un héros lointain dont on se demande s'il va réussir sans se demander comment l'Europe elle-même va se sortir de tout cela... Aux Etats-Unis la crise est là, les gens tombent, se relèvent, parce que c'est aussi le tempérament américain. Ici, on la devine, on la redoute, on la regarde venir, mais rien ne se passe vraiment, comme si rien n'avait prise sur le réel.
Je trouve de la désespérance un peu partout, nourrie par l'effondrement des valeurs institutionnelles: la justice est soupçonnée, la presse est discréditée, la politique est dénigrée, les syndicats dépassés, plus d'espoirs, plus d'attentes. Oui, c'est cela, les gens n'attendent plus rien.
Suis-je exagérément pessimiste mes compatriotes français?
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