A la demande de Charlotte et Françoise, mais avec humilité puisque nous avons sur le site maintenant son petit-fils, Tristan Mendès France, Président de l'institut PMF, gardien vigilant de sa mémoire, et qui en sait 10 fois plus que moi, je veux juste dire deux mots qui concerneront aussi ce qui fait pour moi la grandeur d'une vie publique. Après tout, l'actualité est gaie (Noel) et sombre (tout le reste) à la fois, et elle fait une pause (même Obama est en vacances!), pourquoi ne pas dire "deux ou trois choses" que je sais de lui ( de mémoire, Tristan pardonnera les erreurs)?
Pierre Mendès France fut le plus jeune parlementaire de la IIIème République, longtemps député radical de Louviers (Eure) jusqu'à ce qu'il devienne bcp plus tard député socialiste (ou du PSU qu'il fonda avec Michel Rocard) de Grenoble en 1967. Il fit partie de ces hommes qui en 1940 ont voulu continuer le combat contre les nazis, ayant quitté la France par le fameux bateau le Massilia pour continuer rejoindre la France Libre via Alger. Les passagers du bateau furent arrêtés par la police française et les politiques - dont PMF - furent emprisonnés et traduits en "justice" pour trahison lors de l'infamant procès (mené par des juges français) de Clermont Ferrand (qui faisait écho à celui de Riom où fut notamment jugé Léon Blum). Mendès fut jugé, emprisonné et il s'évada (il raconte très joliment dans le Chagrin et la Pitié, son évasion à la barbe des gardiens et la façon dont il rejoignit Londres, de Gaulle et l'aviation pour combattre jusqu'à la Libération).
Sous la IVème République, il devient l'une des figures les plus marquantes, à la fois par sa personnalité hors norme et par ses compétences économiques (il était clairement keynésien, ce qui était rare à l'époque, les hommes politiques étant plus volontiers des politiciens que des économistes). Farouchement opposé à la Guerre d'Indochine, il devient Président du Conseil en juin 1954, investi d'espérances incroyables et d'une popularité énorme. (Il eut des collaborateurs exceptionnels, dont deux, notables: Simon Nora, grande figure de la haute fonction publique et Mitterrand qui fut son ministre de l'Intérieur- et avec lequel il ne s'est jamais très bien entendu, au grand dam de beaucoup de mitterando-mendésistes).
Il va gouverner 7 mois et 17 jours , le récit le plus complet de ce gouvernement étant le livre de Pierre Rouanet publié dans les années 65/67. Et dans ces 7 mois et 17 jours, un temps incroyablement court, il fait en un mois - le temps exact qu'il s'était fixé - la paix en Indochine, et accorde l'indépendance au Maroc et à la Tunisie, et en France, des réformes économiques et sociales importantes. Il devient le personnage le plus acclamé depuis longtemps, mais tombe au Parlement en février 55, victime des manoeuvres de la droite, d'une partie de la gauche et du RPF (gaullistes d'alors), et d'une bonne dose d'antisémitisme qui s'exprimait encore à voix haute Je ne sais plus si ce n'est pas Tixier Vignancour (un des prédécesseurs de Le Pen) qui ne l'appelait que "Pierre Isaac Mendès France"...
Dès lors, il devient une icône, une référence de la gauche. Très opposé à la Guerre d'Algérie, dans laquelle la gauche française - via Guy Mollet - perdra son âme. Le 13 mai 58, de Gaulle revient au pouvoir et Mendès s'installe dans une opposition on ne peut plus claire, aussi bien de la personne du Général que des institutions créées par lui, de cette Vème République qui nous gouverne toujours et dont on voit bien les lacunes et dérives. Son ouvrage le plus important - avec "Gouverner c'est choisir" - fut alors "la République Moderne" dans lequel il dénonce le bonapartisme gaullien et le recours au suffrage universel pour élire le Président de la République, pressentant les risque de populisme et de "pouvoir personnel" qui en découlerait. Il s'y est toujours opposé, laissant à Mitterrand le soin de combattre - et de gagner - dans le système qu'il dénonça jusqu'au bout.
Je passe sur les événements de 68, une candidature avec Defferre en 1969 qui ne fit que 5% des voix, vous trouverez tout cela, beaucoup plus détaillé et mieux expliqué sur le site de l'Institut Pierre Mendès France.
Le plus important fut qu'il inspira une grande partie de la gauche, de la jeunesse à laquelle il était si attentif, une nouvelle façon de gouverner, fondée sur le contrat, la parole donnée, le calendrier des réformesà faire, la rigueur et la morale en politique. Il m'a appris et à des milliers de jeunes et moins jeunes (je l'ai connu tard, après 1968), les grandeurs de la chose publique, la Res Publica, pour laquelle il avait un infini respect: on ne trahit pas ses idées, ses convictions en raison des circonstances, on est fidèle à ses convictions jusqu'à l'obstination: il aurait fait un extraordinaire Président de la Vème République, mais il a toujours envoyé balader ses amis qui le lui disaient, ses fidèles qui le suppliaient, et les petits étudiants comme moi qui travaillaient pour lui au "Courrier de la République", (petite revue mensuelle où les rédacteurs s'appelaient Bérégovoy ou Michel Rocard ) et qui en rêvaient.
Juif assumé et détesté beaucoup à cause de cela, il a très tôt organisé les rencontres et dialogues entre Israéliens et Palestiniens, et était plus que favorable à la paix, et s'est le premier (?) soucié du prix des matières premières qui grèvent les pays pauvres.
Il fait partie des quelques figures du passé - je ne veux à dessein citer aucune du présent - qui sont capables de redonner espoir et confiance à tout un pays, parce que l'homme était juste, droit, intelligent, compétent et respectable.
J'ai souvent dit que mon goût pour la politique - même si ce ne fut pas de l'action mais de l'observation et de l'analyse - je le devais à Pierre Mendès France. Et si, malgré les déviations, les petitesses, et les médiocrités, si je garde une image de la grandeur de l'engagement dans la vie publique, c'est à Mendès que je le dois, comme plus tard à Rocard ou Delors, ou d'autres...
Pardon pour la longueur de ce post, mais à travers un hommage, c'est aussi une façon en creux de parler de la politique d'aujourd'hui.
Et pour retomber sur mes pieds et ne pas être totalement hors sujet dans ce blog, Obama, par la ferveur qu'il suscite, peut devenir un Mendès américain si ses actes sont conformes à ses promesses et s'il redonne confiance en ce qui est le plus décrié dans le monde aujourd'hui et qui est un métier extraordinaire et pas du tout à la mode: l'Homme d'Etat.
Institut Pierre Mendès France
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