Je suis comme certains d'entre vous l'ont écrit, très sensible aux sujets touchant la prison.Sans doute ai-je été marquée par deux longues visites faites en prison, l'une il y a 20 ans à la Santé, l'autre il y a 4 ou 5 ans à la prison de femmes de Fleury Mérogis.
A chaque fois, je me suis dit que se protéger d'individus dangereux et leur faire comprendre quela sanction existe était évidemment vital pour une société. Mais tout dépend comment. Je me suis toujours indignée en entendant le pékin moyen dire "il n'a pris QUE 15 ans!". Celui-là n'est jamais allé dans une prison surpeuplée comme les maisons d'arrêt le sont en France, où ils sont à 5 par cellules, où quand deux sont debout, les autres doivent être couchés, où les latrines sont au pied des couchettes... Celui-là n'a jamais entendu les bruits des grilles, l'odeur de la prison, la tournée des surveillants avec leur plateau de tranquillisants... Celui-là n'a jamais vu la crèche des enfants nés en prison et qu'on retire à leur mère à l'âge de deux ans (ce qui est sans doute nécessaire, mais peut-on imaginer l'arrachement pour la mère et l'enfant?).
Oui, la prison, c'est la privation de liberté, pour un an, dix ans, vingt ans, mais ce ne devrait être que cela, et c'est déjà suffisant... Tous ceux qui pestent contre les prisons 5 étoiles (j'en connais peu!) devraient aller y passer une journée, rien que pour voir... Evidemment, l'idéal serait de construire suffisamment de prisons pour éviter d'en faire des ours en cage. L'idéal serait de juger vite afin que les détenus ne restent pas des années dans les maisons d'arrêt en attente de leur jugement. L'idéal serait que des peines d'intérêt général pour les petites sanctions prennent le relai des prisons d'où certains ressortent souvent plus gravement délinquants qu'ils y sont rentrés.... Mais demander de l'argent aux contribuables pour cela est courageux, donc rare. Et les citoyens râlent, qui pensent que la société doit se venger plutôt que sanctionner et tenter de réhabiliter pour les faire sortir...
Donc à Singapour, j'ai eu l'opportunité de visiter hier la prison de détenus purgeant des peines de longueur moyenne: 10 ans en général.Pas question d'idéaliser. Je n'ai vu aucune cellule et ne sais rien de la surpopulation ou pas. Je ne sais pas si la prison que l'on m'a fait visiter n'est pas une exception (elle contient quand même 10.000 détenus, et Singapour étant un Etat-ville de 4,5 millions d'habitants, il n'y en a pas des dizaines). Je ne connais pas non plus l'ampleur de la sévérité de la justice à Singapour, dans cette démocratie dite "autoritaire". La peine de mort existe (mais aux USA aussi), les peines pour trafic de drogue sont lourdes, mais loin de moi de porter un jugement sur un système pénitentiaire que je ne connais pas et a fortiori sur un système judiciaire qui m'est inconnu et qui ne doit pas être le nôtre. Donc prudence. Mais je veux juste raconter ce que j'ai vu, dans cette prison de Changi rénovée en 2004.
D'abord l'accueil des familles: elles ont la possibilité de voir leur parent détenu deux fois par mois, et s'inscrivent sur internet de chez eux ou sur des bornes dans le hall d'entrée. Une fois ils se voient via une petite salle de vidéo conférence, une fois en face à face, avec ou sans contact, selon la dureté de la peine prononcée. La vidéo a évidemment pour défaut de ne pas être au contact du détenu, mais permet aux familles qui résident à 3/4 d'h de la prison ou aux personnes âgées de se rendre dans plusieurs centres de Singapour, pas loin de chez eux, reliés au système vidéo.
Quant aux programmes élaborés pour les détenus, il a été fait un pari sur l'expression artistique. Selon les éducateurs que j'ai vu, elle leur permet d'apprendre à s'exprimer autrement que par des mots dans une civilisation qui n'exprime pas beaucoup ses émotions par la parole. Elle leur permet d'apprendre la discipline et le travail en équipe. Elle leur permet d'accéder à une expression artistique qui ne peut que leur ouvrir d'autres horizons que ceux du monde d'où ils viennent. Elle leur permet enfin d'apprendre suffisamment pour trouver (il y a peu de chômage ici) un emploi à la sortie, soit dans des ateliers pour les plus doués, soit dans les écoles qui n'ont pas assez de profs de musique ou de dessin et qui les engagent.
Certains font donc de la peinture, de la poterie, de la sculpture. D'autres jouent des saynètes de théâtre. D'autres se consacrent à l'apprentissage du chant. D'autres enfin à la musique, cours de solfège, puis apprentissage d'un instrument, et les guitares, saxos, flutes, batteries et violons sont achetés par la prison en grand nombre afin que chacun puisse pratiquer sur l'instrument qu'il a choisi.
Je les ai entendus jouer de la musique, je les ai vus jouer des petites scènes de la vie d'un détenu (celle de sa sortie, bien sûr...) sous la direction de profs de théâtre bénévoles qui viennent quelques heures par semaine faire leurs cours et les faire répéter. Je les ai entendus chanter des mélodies malaises, ou Sole Mio. Je les ai vus enfin dans l'atelier de peinture, aux couleurs vives (s'il n'y avait des grilles de temps en temps dans les couloirs, et quelques gardiens en uniforme pour rappeler qu'on est en prison, les murs colorés et les lumières douces font plutôt penser à des salles de classe). J'ai parlé un peu avec eux devant des toiles qu'ils apprennent à peindre, sachant que ces condamnés pour avoir dealé de la drogue, ou pour s'être livrés à des holds ups et qui sont en prison depuis un moment et pour très longtemps encore, n'avaient jamais approché un pinceau, un guitare, ou lu une partition avant leur emprisonnement.
Alors, encore une fois, pas d'angélisme. Une prison reste une prison, même ultra moderne et propre comme un laboratoire, et un crime reste un crime. Mais j'ai été émue plusieurs fois: par les efforts des gardiens heureux de faire autre chose que des fermetures et ouvertures de cellules; par des chants joliment interprétés, et par certains de leurs dessins. Laissez moi juste vous raconter l'un d'entre eux. C'est une toile noire, blanche et grise. Le bras d'un détenu dont on ne voit pas le visage ou le reste du corps, passe à travers les barreaux d'une grille, stylo à la main, pour plonger ce stylo dans un encrier, qui lui, est au dehors et d'où s'échappent des gouttes d'encre bleue, seule tache de couleur de la toile. Cette toile disait beaucoup de choses: la cage, la liberté, la création accessible même enfermé, la couleur et donc la vie au dehors seulement mais à laquelle on essaie de rêver... J'ai trouvé ce dessin, de ce jeune homme qui avait l'air doux et fier de montrer son oeuvre - mais qui par ailleurs était peut-être un redoutable gangster - poignant. Je ne vais pas l'oublier vite.
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