Barack Obama, en une semaine, est devenu roi du monde.
Le sacre commence chez la Reine d’Angleterre, en Président moderne chez une souveraine qui ne l’est pas vraiment. Elisabeth II est toute rose, le Prince Philip l’est moins. Carla n’est pas venue, personne ne songe à faire la révérence à la souveraine et Michelle Obama lui passe même la main dans le dos, familièrement.
Buckingham, c’est…comment dire ? Chargé. En dorures, en tapis, en lustres, en tableaux. Un petit Vermeer dans un coin, trône au milieu de Gainsborough imposants, dans une immense galerie, où les principaux dirigeants du monde se saluent en membres d’un club ultra chic.
Cristina Kirchner, la présidente Argentine est tout en blanc, la femme du président Coréen tout en fleurs, Zapatero tout en jambes, Sarkozy tout à sa menace de quitter le sommet avec sa copine Angela, Lulla sympa, le Prince Charles et Camilla…comme dans les magazines, lui, promenant un ennui distingué, et elle, l’air guilleret mais pas vraiment glamour.
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Barack et Michelle déambulent en saluant à droite et à gauche. Ils sont beaux, grands, “cools”, ils ont surtout l’air follement naturel. Le Président va de groupe en groupe, tendant la main. Large sourire contagieux, pour un peu, on s’attend à ce qu’il se présente: “My name is Obama, Barack Obama”. Elle, belle et simple, vêtue de noir et blanc, tous petits talons et bras exceptionnellement couverts par un cardigan sans façon. Elle sourit gentiment, au roi d’Arabie Saoudite, comme à Berlusconi. Celui-ci, bronzé (trop), cheveux noirs (trop), pas de rides (pas assez), a “la banane”: il explique à tout le monde qu’à l’heure où chacun pâtit de la situation générale, lui, il plane avec 66% d’opinions favorables! Il s’attirera d’ailleurs un regard courroucé de la reine alors qu’à la fin de la photo de classe, il crie bien fort en élève dissipé “Mr Obama!”, pour attirer l’attention de la vedette du jour. La Reine, choquée, lancera à la cantonade “why is he shouting so loud?” – “mais pourquoi crie-t-il donc si fort”?
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Le cortège part vers le 10 Downing Street, en traversant la ville motards en tête. Gordon Brown, qui joue gros sur ce sommet de Londres, censé lui valoir à nouveau la sympathie évanouie de ses concitoyens, a fait les choses en grand. A quelques centaines de mètres ont lieu des affrontements violents, dont les participants au sommet ignoreront tout. L’Obamamobile, l’immense Cadillac surnommée “The Beast”, incapable de manoeuvrer dans l’étroite Downing Street, s’arrête dans la cour imposante du Ministère des Finances qui fait face au Matignon britannique. Tous les invités traversent la rue tranquille sur un tapis rouge, jusqu’au perron où le couple Brown reçoit, devant la fameuse petite porte noire. Dans l’entrée, les chefs d’Etat et de gouvernement qui sont venus travailler sont conduits à droite, les épouses qui sont venues faire connaissance (Monsieur Merkel et Monsieur Kirchner ont renoncé) à gauche.
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Ce qui se dira dans la salle à manger des puissants, je n’en sais rien, même si leurs mines fatiguées à la fin du repas - un bon diner britannique, mais oui - disaient bien la tension qui aura régné durant tout ce sommet. Au dîner des épouses, Michelle Obama sourit toujours: elle bavarde avec les invitées personnelles de Sarah Brown: J.K. Rowling, autrement dit “Madame Harry Potter”, dont Michelle a lu les livres avec ses filles. Ou la somptueuse Naomi Campbell, vêtue d’un improbable tutu de tulle noir, britannique vivant désormais à Moscou avec un boy friend russe. Comme une rencontre Est-Ouest improvisée sur canapé, Michelle O a même un aparté avec Svetlana Medvedeva, son opposé, petite, blonde et ronde, distante, en tailleur lamé doré et brushing volumineux.
Pour le reste, vous savez tout des résultats de ce sommet qualifié d’historique par les participants contents de rentrer chez eux auréolés de succès: la relance mondiale imposante, la cooperation planétaire, la régulation financière affirmée, les paradis fiscaux dénoncés. Ironie: dans la chambre d’hôtel, des brochures ayant visiblement échappé à la vigilance des organisateurs, faisaient de la réclame pour un séjour de rêve à… Antigua!
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Au sommet de l’Otan, entre Strasbourg et Kehl, la presse énamourée, compare les tenues des First Ladies, relate en choeur les bises des deux dames, Carla et Michelle, et les assauts d’amabilité entre Barack et Nicolas, censés démentir leur supposée mésentente. D’ailleurs la France ne rentre-t-elle pas dans le giron de l’Otan – ce qui n’a pas l’air d’émouvoir particulièrement le Président américain qui poursuit méticuleusement son entreprise de séduction auprès d’étudiants allemands et francais en transes qui, eux aussi, soulignent sa prestance et sa chaleur.
Et ça continue à Prague. Après le Nouveau Continent régulateur et modeste à Londres, l’Europe et le monde découvrent une nouvelle Amérique, loin de l’arrogance de l’ère Bush, attachée à un partage du pouvoir mondial avec les pays émergents. Discours d’Obama sur sa volonté - un jour - d’abandonner la course nucléaire – alors que la Corée du Nord répond par un missile provocateur. Puis, Ankara, où il réussit à séduire les laïcs comme les religieux, et en profite pour amorcer une approche du monde musulman avec un vibrant hommage aux peuples de l’Islam, et le conseil modérément apprécié des Européens, d’intégrer vite la Turquie à l’Europe.
Enfin, sur le chemin du retour, l’arrêt surprise en Irak pour qu’on ne se méprenne pas: l’Amérique n’oublie pas ses boys et saura partir la tête haute.
Le tournis. Ici aux Etats-Unis, saoûlés de directs et d’éditions spéciales, les citoyens voudraient bien qu’on reparle d’eux et de la crise, même s’ils chavirent, comme le reste du monde, pour ce jeune conquérant, maître absolu dans l’art du symbole. Sur sa “to do list”, il ne lui reste plus qu’à faire baisser le chômage, relancer l’économie, sortir d’Irak, réduire Al Qaida en Afghanistan, faire la paix au Proche-Orient, contenir l’Iran, amadouer les russes et les chinois, restaurer les valeurs américaines, reprendre le leadership mondial. Un jeu d’enfant…
Anne Sinclair
annesinclair.fr
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