Il y a des moments où un homme se hisse à la hauteur de l’Histoire.
C’est ce que fit Colin Powell à « Meet the Press » dimanche dernier. L’ancien Secrétaire d’Etat de Bush, général 4 étoiles, militaire depuis 35 ans, ancien chef d’Etat Major des armées, respectable et respecté, a apporté son soutien à Barack Obama. C’est évidemment l’un des coups les plus durs portés à John McCain.
L’appui de Powell à Obama est décisif. Non pas, parce qu’il pense que Sarah Palin « n’est pas prête à être Présidente des Etats-Unis », mais parce qu’il doute, à cause de ce choix, du bon jugement de McCain, « son ami de 25 ans ». Colin Powell en a même rajouté, en s’adressant aux extrémistes qui attisent les tensions religieuses : « Obama », dit-il en substance, « est chrétien. Soit. Mais serait-il musulman, quelle serait la différence? Un gamin américain musulman n’a-t-il pas le droit de rêver à être un jour le Président des Etats-Unis ? ». Et de raconter à quel point il a été touché par l’image d’une mère penchée sur la tombe de son fils, jeune soldat américain de 20 ans, musulman, et mort en Irak pour son pays.
Colin Powell a été impressionnant, quand McCain et Sarah Palin frôlent chaque jour un peu plus le côté obscur la force.
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La campagne de McCain semble à la dérive, et les soutiens lui manquent. Ici, des sénateurs républicains lui font défaut. Là, vingt-six journaux qui avaient soutenu Bush il y a 4 ans, ont viré pour Obama aujourd’hui. Quant au « Chicago Tribune » qui depuis sa parution, il y a 161 ans, n’avait jamais cautionné un candidat, il a pris parti pour Obama.
McCain arrête donc les frais dans le New Hampshire, le Wisconsin et le Colorado où il paraît distancé, pour concentrer ses efforts en Virginie (où, pour la première fois depuis 44 ans, un démocrate pourrait l’emporter) et en Floride. Dans les régions rurales républicaines depuis des lustres, et qui représentent 23% des électeurs américains, une étude montre que les deux candidats sont au coude à coude, alors que 90% des électeurs sont blancs, et que la moitié a plus de 50 ans, ce qui traditionnellement, favorise le Parti Républicain.
Il faut dire que la crise mondiale a pris le pas sur tout autre sujet, que la campagne négative des Républicains ne porte aucun fruit, et que le choix de sa Vice-Présidente, après avoir enflammé la base, a dérouté bien des supporters de McCain. Sarah Palin s’attire d’ailleurs cette semaine les quolibets de la presse et de l’opinion pour avoir, en deux mois, fait dépenser à son parti 150.000 dollars de vêtements couteux, de coiffure et de maquillage. Un petit rien à côté des problèmes de la planète, disent les Républicains. Sans doute, mais cela fait désordre quand on prétend incarner l’Amérique moyenne et qu’on se présente comme Madame Tout-le-Monde.
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Il serait injuste de n’évoquer les problèmes d’argent que par le biais de cette histoire de garde-robe. Cette campagne est un gouffre financier : Obama aura accumulé une cagnotte de 600 millions de dollars, la campagne la plus chère de toute l’histoire des Etats-Unis ! Cela lui donne bien sûr une force de frappe considérable : le 29 octobre, il va acheter 30 minutes d’antenne sur les plus grandes chaînes de télé américaines pour y faire sa campagne.
Choquant ? Oui, disent ceux qui trouvent ce gaspillage indécent. Non, répondent ceux qui reprochent au système français, plafonné et égalitaire, d’être payé par le contribuable alors qu’aux Etats-Unis les 3 millions de bienfaiteurs d’Obama ont fait une donation volontaire.
Notons, en passant, que le quart seulement de ces donateurs aura consacré à la campagne de leur héros moins de 200 dollars, et les trois quarts, beaucoup plus - ce qui altère un peu le joli conte du financement de la campagne d’Obama uniquement par la base.
Et quant aux adversaires les plus acharnés de la guerre en Irak, ils vous disent même qu’à côté des 10 milliards de dollars que coûte chaque mois cette guerre aux Etats-Unis, les dépenses de campagne paraissent anecdotiques !
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Alors, où en sommes-nous? L’expérience incite à la prudence, les sondeurs mettent eux-mêmes en garde contre un électorat volatile et imprévisible dans un pays où tout peut se passer: un éditorial de l’excellent Eugene Robinson du Washington Post soulignait qu’il y a neuf mois, on pensait que l’élection se jouerait entre Hillary et …Giuliani, l’ancien maire de New York !
McCain se bat donc toujours, notamment en Ohio et en Floride, Etats clés, en espérant un miracle. Il va marteler la phrase d’Obama, « répartir les richesses » ( spread the wealth), ce qui ici, au mieux, fait irresponsable, et au pire, communiste! Il va mettre en garde les électeurs contre la concentration de tous les pouvoirs entre les mains des Démocrates si ceux-ci conservent leur domination au Congrès, ce qui paraît probable. Et il cogne désormais sur Bush, s’apercevant – mais un peu tard – qu’il lui aurait fallu prendre ses distances il y a longtemps.
Obama, lui, s’offre le luxe de partir deux jours à Hawaï au chevet de sa grand-mère malade, du jamais vu à 12 jours d’une présidentielle ! Certes, il doit beaucoup à sa grand-mère. Certes, il semble avoir suffisamment d’avance pour prendre le risque d’une courte absence. Mais cette attitude lui donne aussi un supplément d’humanité, à lui qu’on trouve parfois trop calme, trop maîtrisé.
La dernière bataille est donc celle de la mobilisation : les nouveaux inscrits, les jeunes surtout, vont-ils se déranger pour voter Obama le jour des élections? Ashenafi, mon chauffeur de taxi d’hier, né en Ethiopie, Michael mon dépanneur d’Internet d’aujourd’hui, né en Virginie, et le cousin brésilien fraîchement naturalisé d’Helida ma voisine, tous nés ou devenus américains, se sont inscrits pour la première fois sur les listes électorales. Ils espèrent bien faire une fête mémorable le 4 novembre au soir.
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Post scriptum : Alan Greenspan, qui fut pendant 18 ans le gouverneur ultra-libéral (au sens français du terme) de la FED, la banque centrale américaine, a fait amende honorable jeudi devant le Congrès, en reconnaissant que l’idéologie à laquelle il adhérait, avait failli, et qu’il avait eu tort de croire que le marché se régulait seul.
Pas de doute, nous sommes bien à la fin d’une époque.
Anne Sinclair
annesinclair.fr
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