Il y eut l’avant, le pendant, l’après 4 novembre.
L’ « avant », lundi ou mardi, c’était un mélange d’excitation, de retenue et de je ne sais quoi de superstition. Ils ne parlaient tous que de « cela », marchand de souvenirs pakistanais, étudiante coréenne, cordonnier mexicain, serveur afro-américain ou employée de gare venue d’une famille blanche de Virginie, tous, représentant cette Amérique mélangée, et tous, citoyens américains : Obama pouvait-il être élu ? Allait-on voir la fin de la guerre en Irak, la sortie de la crise, l’assurance-santé pour tout le monde, l’éducation à la hauteur des défis de demain? Et tous, portaient fièrement un auto-collant qui voulait tout dire : « j’ai voté » !
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Le « pendant », ce fut la nuit bouleversante du 4 novembre, quand, à 11h du soir, les chaînes de télévision ont proclamé élu « ce drôle de type avec un drôle de nom » - comme il avait dit lui-même – 44ème Président des Etats-Unis. Marée humaine dans les rues de Chicago ou de New York, toute en larmes, et en cris de joie. L’impression d’assister à un moment historique rare, comme il y a presque vingt ans, quand une foule gigantesque et joyeuse passa de l’autre côté du Mur de Berlin. L’élégance de McCain, les paroles irréprochables de Bush, prenant tous deux la mesure de l’événement. Les yeux humides de John Lewis, Représentant démocrate de Géorgie, compagnon de Martin Luther et qui paya un lourd tribut au combat pour les droits civiques. Enfin le frisson, quand Obama prit la parole, plus grave que d’habitude, conscient des responsabilités à venir, et alors que le rejoignaient sur scène ses jolies petites filles, et sa femme Michelle, qui sera la première First Lady descendante d’esclaves. Qu’elle était belle, la photo !
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Et puis la rue. Les Français qui se rappellent les fêtes fameuses à la Bastille ou à la Concorde les soirs d’élections gagnées, n’ont jamais vu, je crois, tant de fraternité. A Washington, au croisement de U street et de la 14ème rue, dans le quartier animé de DC, convergeait toute une ville, noirs, blancs, jeunes, vieux, pauvres ou bobos, costume-cravate ou jean-tee-shirt, dans une liesse incroyable. Au milieu des concerts de klaxons, les gens se jetaient dans les bras les uns des autres, amis aussi bien qu’inconnus, américains ou étrangers, pour se donner cent fois l’accolade. Les voitures de police étaient de la fête, klaxonnant elles aussi, les policiers sautant de leur véhicule pour embrasser les passants, ou tendant la main par la fenêtre pour taper dans celle des piétons. Les bars étaient bondés, les gens assis par terre devant les télés, ou agglutinés dehors, tentant d’apercevoir quelques images. Un jeune homme, grimpé sur le toit d’un autobus, avec un masque d’Obama (reste d’Halloween ?), mimait le héros du jour en s’attirant les hourrahs de la foule en délire. « Yes we did » scandaient-ils en cadence ! Nous étions tous des américains, heureux pour eux, qui étaient si fiers d’eux-mêmes.
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L’ « après », c’est cette carte d’une Amérique républicaine depuis des lustres, repeinte largement en « bleu » démocrate. Et mercredi, Joan Baez chantant « We shall overcome », qu’elle interpréta autrefois aux côtés du King. Et cette joie, qui a perduré tout au long de la semaine.
L’ « après », c’est ce paradoxe : contrairement à ce qu’on a cru, l’élection de Barack Obama ne s’est pas faite en fonction de la couleur de sa peau. Il n’en a jamais fait un thème de campagne, et en a rarement parlé. Je crois même pouvoir dire que ce n’était plus un sujet pour beaucoup d’électeurs, tant ce pays était prêt à ouvrir ses bras à celui qui comprendrait les maux de l’Amérique, et lui rendrait l’espoir. Et ceux qui ont voté contre lui, (car ce fut bien un référendum, pour ou contre Obama), l’ont fait par choix et non par peur d’un Black Power revanchard.
En revanche, à la minute où son élection a été confirmée, elle est devenue LE symbole de la mutation de l’Amérique par rapport à la question noire. Le rêve pour lequel est mort Luther King est à ce moment précis, devenu réalité : comme l’écrivit le lendemain un éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, « le 4 novembre 2008, à 11h du soir et 147 ans plus tard, la guerre civile a pris fin, dans le même Etat où elle avait commencé, en Virginie ».
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Obama sera-t-il aussi grand, Président, qu’il fut bon, candidat ? L’attente est immense. Ses nominations, d’abord, car les grands hommes s’entourent des meilleurs. La première, celle de son « Chief of staff », Rahm Emanuel, est saluée comme celle d’un homme à poigne, auquel reviendra le rôle du méchant dans le tandem qu’il formera avec Obama, statut indispensable pour faire passer des textes impopulaires. Deuxième annonce en trois jours, celle d’un « stimulus package » - une relance budgétaire. Stimulus, sera le mot de la fin de la semaine, celui qu’Obama a utilisé pour sa première conférence de presse. La situation économique est si sérieuse avec 240.000 emplois perdus ce dernier mois, qu’il a décidé d’aller vite, pour annoncer non pas la redistribution, comme le craignait Joe le plombier, mais une politique de relance pragmatique où les allègements d’impôts bénéficieront à 95% des citoyens et aux petites entreprises.
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Impassible, énigmatique, n’élevant jamais la voix, ne montrant ni impatience, ni euphorie, Obama déconcerte. Vendredi, un brin autoritaire, pas vraiment joyeux. Comme mardi soir à Chicago, où il avait l’air moins heureux que ses électeurs. L’émotion, une faiblesse. La sobriété, une marque de fabrique. Alors que la Russie de Poutine et Medvedev le teste déjà en annonçant des missiles sur les rives de la Mer Baltique, et que chacun s’attend à la récession, il sait qu’il lui faudra être un homme de fer, maître de lui comme de l’Univers.
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