Cela paraît toujours vain de faire l'éloge d'un disparu qui eût sans doute préféré les hommages de son vivant. Mais Philippe Séguin, c'est une des belles figures de la droite française, persuadé qu'il ne fallait pas abandonner la "question sociale" à la seule gauche.
Il ne portait pas à l'attendrissement des journalistes qui le connaissaient et qu'il rudoyait volontiers. Mais à leur respect, ce qui est déjà beaucoup. Trop intelligent pour ne pas avoir de regard critique sur le personnel politique, il s'estimait suffisamment pour se permettre des remarques acides sur ses collègues, accompagnées d'un énorme rire qui secouait sa grande carcasse.
Bourru, coléreux, souvent désagréable avec les importuns ou les sots, il était un peu la statue du Commandeur d'un certain gaullisme de gauche qui a disparu avec lui.
Il s'était - pensent les européens convaincus dont je suis - fourvoyé avec son combat souverainiste et anti européen. Mais celui-ci, sincère, argumenté, talentueux, lui avait valu l'estime de Mitterrand qui, lors du référendum de Maastricht en 1992 - et alors qu'il était déjà bien malade - n'avait accepté de débattre qu'avec lui. Et je crois savoir que le vieux lion avait fasciné l'encore jeune loup.
Son attelage d'un temps avec Pasqua a paru étrange à beaucoup, tant les deux hommes renvoyaient une image différente de la politique et de ses exigences, mais qui peut se targuer d'un parcours totalement limpide? Depuis quelques années, sa posture de Président intransigeant de la Cour des Comptes convenait bien à ce silencieux austère, pétri du sens de l'Etat. Et ses derniers rapports ont été pour le moins dénués de complaisance.
Je l'ai souvent reçu dans mon émission. Il se plaisait à être cérémonieux et ne m'appelait que "Madame", refusant toute connivence et comme pour mieux souligner la vanité des propos d'une journaliste comparés à sa forte pensée politique. Mais il n'y avait pas de mépris dans son ton, juste une distance taquine sur la contradiction qu'on pouvait lui porter et qui l'amusait.
C'est lui que je recevais le dimanche qui suivit ma décision d'arrêter 7/7 quand mon époux est devenu Ministre de l'Economie et des Finances. "Alors, vous nous abandonnez?" me demanda-t-il affectueusement. "Vous me voyez regarder les mouches voler au plafond sans dire un mot quand vous déclarerez devant moi que la politique de la gauche et donc de mon mari est mauvaise? Et vous me voyez, à l'inverse, vous contredire avec une liberté de ton entière?". - "Vous avez raison" admit-il, "et cela vous honore". J'ai savouré le compliment précieux car rare dans la bouche de cet Homme d'Etat.
Je ne serai pas la seule à regretter ce personnage atypique, exigeant, ombrageux et honnête serviteur d'une République qu'il a toujours servie contre les modes, les excès et les dérives.
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