Obama sur tous les fronts. Les ministres
importants de son gouvernement sont déjà en place, six semaines avant
l’investiture. La vedette des derniers jours est bien sûr Hillary Clinton, qui
sera ministre des Affaires Etrangères du pays le plus puissant du monde, du
président le plus charismatique que l’Amérique ait eu depuis longtemps, du
rival qu’elle a combattu pendant 18 mois, lors de primaires acharnées. Et ce n’est
pas tout. Robert Gates, qui depuis deux ans était le ministre de la Défense
d’un président qui faisait la guerre en Irak, restera à son poste sous un
président qui veut la terminer et porter le fer en Afghanistan. Enfin le
général Jim Jones, Républicain, proche ami de McCain, sera Conseiller pour la
Sécurité à la Maison Blanche, l’un des plus proches collaborateurs quotidiens
du futur président Démocrate.
Bien sûr, les journalistes s’en donnent à cœur
joie: comment vont coexister des personnalités aussi fortes, aussi différentes,
et notamment comment concilier les tempéraments de la nouvelle Secrétaire
d’Etat et du Président ?
Mercredi, la nouvelle est tombée que Richardson,
ancien ministre de Bill Clinton et, comme Hillary, ancien challenger d’Obama pour
la nomination Démocrate, serait le prochain ministre du Commerce, et cela a
renforcé l’étonnement de ceux qui voient le gouvernement Obama ressembler comme
un frère à l’ancien gouvernement Clinton, alors que le président élu avait
promis le changement.
Obama paraît imperméable à ces critiques.
L’important pour lui est de savoir comment affronter deux guerres, comment se
sortir du bourbier de l’une d’entre elles, comment entamer des relations avec
l’Iran, comment éviter la nucléarisation de la Corée du Nord, comment relancer
la paix entre Israel et la Palestine. Et il a décidé de nommer des hommes et
des femmes suffisamment aguerris pour fermer Guantanamo, faire face à une
situation qui dégénère entre l’Inde et le Pakistan, ou restaurer une vision multilatérale
de l’Amérique, plutôt que tenter d’éviter les rivalités entre des personnalités
puissantes ou toute ressemblance avec un gouvernement ayant déjà existé.
Et pour ceux qui veulent la nouveauté, ils la
trouvent. Dans toute cette nouvelle équipe dite de Sécurité, il y a deux hommes
blancs, trois femmes, deux Africains-Américains dont le Ministre de la Justice,
et deux Républicains! Et désigner une ambassadrice à l’ONU avec rang de
ministre, c’est, de la part du nouveau président, faire plus pour le multilatéralisme
qu’un grand discours aux Nations-Unies. En réalité, Obama dit aux
Américains: « Le changement, c’est moi. Le seul patron, c’est moi. Je
donnerai le ton, et les Hillary, Gates, ou autres Richardson n’auront plus qu’à
le mettre en musique ». Péché d’orgueil ou vrai pari collectif ?
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Pauvre George Bush, réduit à des
confessions-bilans avant son départ. Lui qui, plusieurs fois au cours de son
mandat, a été incapable de nommer une seule de ses erreurs, reconnaît dans une
interview à ABC, « ne pas avoir été préparé à faire la
guerre », et déplore
les défaillances des services de renseignement en Irak, sans pour autant
regretter d’avoir entraîné son pays dans ce conflit désastreux.
Pauvre George Bush, réduit au rôle de
potiche par les institutions! Le soir des sanglants attentats en Inde, les
télés diffusaient avec malice les images coutumières de Thanksgiving - Obama
devra s’y soumettre l’année prochaine – où « W » devait gracier une
dinde qui, par le pardon présidentiel traditionnel, allait, ce soir-là échapper
aux fourchettes des gourmands.
Un graffiti sur un mur de Washington fait sourire
les passants : « est ce que ce Président pourrait juste s’en aller et
laisser la clé sous le paillasson ? »
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Contraste flagrant avec toutes les images montrant
Obama peaufinant ses équipes et donnant ses pistes pour relancer l’économie.
La nature de la crise américaine n’est pas d’une
autre essence que celle qui sévit en Europe. Elle n’y est ni plus ni moins
forte. Mais on a le sentiment, qu’ici, aux Etats-Unis, les gens en ont pris
plus rapidement conscience - sans doute à cause des deux derniers mois de
campagne où l’on n’a parlé que de cela. Tout le monde a vu qu’il y avait eu,
cette année pour Thanksgiving, moins de vacanciers que d’habitude sur les routes
et dans les aéroports. « Des Fêtes à la baisse » titrait en gros il y a quelques jours, la
page business du New York Times, expliquant qu’avec un chômage accru, le repas
de Noel serait plus frugal et les cadeaux moins luxueux.
Obama a choisi une équipe économique très
(trop ?) sage, comme si le moment, là aussi, était plus à la compétence
qu’à l’audace. Les trois grands pontes nommés, Tim Geithner, Larry Summers et
Paul Volcker sont certes convaincus - à la différence de l’administration
sortante - de la nécessité de l’intervention publique dans l’économie, mais
seraient considérés en France comme des sociaux-démocrates modérés. L’Amérique
se redressera-t-elle plus vite que l’Europe ? Qui le sait? Toutefois, tout
le monde ici, démocrate ou républicain, admet l’urgence d’un plan de relance
vigoureux alors que les pays européens semblent plus ou moins anesthésiés.
Effet du pragmatisme ambiant ou avantage d’une équipe porteuse d’espoirs ?
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Dernier petit jeu à Washington, trouver une
chambre pour des amis le 20 janvier, date de la prestation de serment d’Obama.
On attend entre 1 et 4 millions de personnes dans une ville qui ne dispose que
de 11.000 chambres d’hôtel. Des maisons en Virginie
s’ « offrent » à 50.000 dollars pour trois jours. Des particuliers
louent leur sous-sol à des fans d’Obama prêts à tout pour être dans la ville où
se fait l’Histoire, tandis que sur le Net s’affrontent les partisans du libre
commerce et ceux qui estiment que c’est un devoir civique de permettre au plus
grand nombre d’assister à l’un des événements marquants de ce début de siècle.
De Reims à Washington, les peuples ont toujours aimé les couronnements.
Anne Sinclair
Blog: annesinclair.fr
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