Ayant la chance de naviguer des deux côtés, voire de lire sur Internet comme vous, à la fois le Monde et le Huffington Post, le Parisien et le NYT, de regarder MSNBC et F2, d'écouter NPR et Europe 1, je peux me livrer à mon petit jeu favori, les comparaisons.
Certes, il faut partout faire du titre, important ou futile: les clubs de golf d'Obama, les faits divers sordides, les mines bronzées de la Rochelle, les incendies à Los Angeles, les retours de vacances sur les routes de France, et au milieu quelques morts à Kaboul, ou celle de Ted Kennedy. Et c'est vrai partout, "c'est la vie" comme disent les Américains eux-mêmes.
Mais j'ai l'impression - détrompez moi si c'est le cas - que les journaux ont à coeur aux Etats-Unis de purger - parfois jusqu'à la nausée - les débats qui agitent la société américaine. Prenons ce débat sur la santé. Non seulement a lieu la discussion de son opportunité, de son financement ou de l'acharnement du Président sur le dossier où il joue son mandat, mais c'est l'occasion aussi pour les éditorialistes d'explorer les ressorts de l'âme américaine, ou en tous cas de son mode de pensée.
Evidemment, il y a les excités, les idéologues, les extrémistes qui vouent aux gémonies ce Président, "socialist", suprême insulte. Mais dans les arguments respectables contre le projet d'Obama - et même s'ils ne me convainquent pas, moi l'Européenne persuadée que nous avons la chance, en Europe, d'avoir la meilleure protection sociale pour tous possible avec le meilleur niveau médical possible, et ce, depuis 50 ans - dans les arguments de bonne foi donc, il en est qui tiennent la route et sont en phase avec ce qu'est profondément l'Amérique: le pays où l'individu exerce d'abord sa propre liberté avant d'être régi par l'Etat. Le pays où l'on se méfie plus de l'oeil inquisiteur de la puissance publique que de son propre et éventuel dénuement face à la maladie ou aux coups du destin.
Personne peut dire que ce débat n'est pas passionnant pour qui s'intéresse au fonctionnement des démocraties et de leur mode de gouvernement. Et ce qui me plait, c'est qu'il est posé dans les magazines et les journaux qui ne se contentent pas de commenter seulement les petits calculs des uns et des autres, si faciles et amusants à raconter.
De même sur la torture: il y a les faits, les enquêtes lancées, les anathèmes de Dick Cheney qui joua sans doute le rôle du Grand Inquisiteur. Mais il y a aussi les questions de fond posées: la torture est-elle efficace pour prévenir l'attentat? Et à partir de quand l'est-elle? Et si oui, se justifie-t-elle pour autant dans une démocratie qui se veut fière de ses valeurs? Personne ne peut dire que ce ne sont pas des débats de fond auxquels on convie les citoyens.
Pourquoi - avec tout le respect un peu fané que je dois à mes confrères journalistes français - pourquoi n'ai-je pas ce sentiment en France? Pourquoi a-t-on le sentiment que l'accessoire, l'anecdotique, les personnes l'emportent de loin sur les idées?
Sarkozy monarque tout puissant ou pas, c'est intéressant, mais moins que de savoir s'il fait bouger ou non la société française, et dans quel sens? La guerre des egos au PS, l'alliance ou pas avec le Modem, savoir si l'on préfère des primaires en 2011 ou 2012 et avec Peillon ou sans Cohn Bendit, est-ce vraiment le sujet, ou le seul qui devrait intéresser les médias qui radioscopient la gauche, ne serait-il pas: y a-t-il en cette crise financière finissante (et en pleine crise sociale qui est loin d'être, elle, finie) un autre modèle que celui que nous connaissons? Et si personne dans les pays gouvernés à gauche sur la planète n'a réussi jusqu'ici à dépasser efficacement le modèle connu de la social démocratie, comment la réinvente-t-on à l'heure de la mondialisation, des nouvelles puissances qui émergent, des continents qui se réchauffent, des inégalités qui se creusent, des vieux tabous idéologiques qui datent du XIXème siècle?
Depuis une semaine, on a assisté, médusé, au lynchage absolu de Martine Aubry, traînée dans la boue par le moindre commentateur ayant croisé le plus petit des petits chefs du PS et rapportant avec gourmandise ses propos. Et abracadabra, depuis deux jours, les mêmes lecteurs des journaux se frottent les yeux devant l'onction, la grâce, la réussite de la même Martine, couronnée comme la battante qu'elle est de fait, mais qu'elle était tout autant il y a 8 jours?
Alors bien sûr, la vie démocratique à laquelle participe la vie des partis, c'est important, les petites phrases ou les travers des grands de ce monde aussi, mais ne nous épargnez pas mes chers confrères les sujets de fond. Nous sommes, autant que les Américains, capables de les comprendre!
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