Jour « O » moins deux, comme une sorte
de calendrier de l’Avent où, comme il se doit, il y a une surprise par jour:
nominations, plan de relance, auditions par le Congrès des ministres désignés,
interviews, préparatifs de parade, de fête.
Bush fait ses adieux. Sa conférence de presse
comme son dernier discours télévisé ont été plus pathétiques que nostalgiques.
Aucun doute. Aucune introspection critique. Des paroles sans souffle, sans message, quasiment
sans contrition (même Abou Ghraib fut une « déception », une
« déconvenue », même pas une erreur !). Seule justification, la
sécurité du peuple américain. Et l’on comprenait en le regardant, ce que fut
cette idéologie des néo-conservateurs: lutter par tous les moyens, contre
l’ennemi de l’Amérique, et apporter au monde des « barbares », la
civilisation du « Bien ». Un seul problème : l’ennemi n’était
pas là où les Etats-Unis l’ont cherché, le Bien voulu par l’Amérique a été
rejeté comme s’il était le Mal,
Ben Laden continue d’appeler au Jihad, et Bush n’a pas de regrets.
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Depuis le 1er janvier, on s’extasie
tous les jours devant les « premières fois » d’Obama : la
première fois qu’on voyait un futur président sexy, torse nu et musclé sur une
plage d’Hawaï. La première fois qu’il est descendu d’un avion officiel, aux
armes des Etats-Unis, lors de son arrivée à Washington. La première fois que se
sont retrouvés, dans le Bureau Ovale, le temps d’une photo, tous les présidents
vivants : les Bush père et fils, Carter, Clinton, et Obama. La première
fois qu’il est allé en famille, au mausolée d’Abraham Lincoln et où l’une de
ses filles, lisant, sur le mur, les mots gravés de celui qui abolit
l’esclavage, lui a dit « toi, P’pa, t’as intérêt à être bon » !
Le Président-élu sait décidément jouer de tous les
registres : le sérieux, bien entendu, pour l’économie. Le sourire, pour
les confidences sur le chien promis à ses filles - que certains appellent même
« the First Dog », comme on dit « the First Lady »
- ou sur sa volonté de continuer à utiliser son Blackberry. L’émotion,
dans cette lettre, jolie à pleurer, écrite à Malia et Sasha et adressée en fait
aux enfants d’Amérique auxquels il veut donner la possibilité de « grandir
dans un monde sans limites pour
leurs rêves ». Mais comment être à la fois Lincoln, Roosevelt, Kennedy,
Luther King ? Le speechwriter d’Obama, ce jeune homme de 27 ans, Jon
Favreau, dit « Favs », qui écrit les discours du futur Président au
Starbucks du coin, et qui a planché depuis des semaines sur celui de mardi,
doit être dans ses petits souliers : le discours d’investiture aura autant de
télespectateurs dans le monde que la cérémonie d’ouverture des JO !
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Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat, cela ne manque
pas d’allure. Cette nomination a prouvé qu’Obama, ne craignait pas les
personnalités puissantes et qu’il avait besoin de quelqu’un de fort pour faire
face à deux guerres et déjouer les pièges, de Gaza à Téhéran.
Mais l’audition d’Hillary devant le Congrès a
révélé bien plus qu’un personnage emblématique mis à un poste décisif : un
changement radical de politique étrangère. Il fallait l’écouter faire l’éloge
du « soft power », et expliquer comment on avait fait jusqu’ici le
jeu des terroristes en ne jouant pas celui de la diplomatie, pour comprendre
que c’est l’ère de la suprématie de la force qui est sans-doute terminée.
L’occasion, pour l’Amérique qui en meurt d’envie, de redevenir fière
d’elle-même.
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La fermeture de Guantanamo, symbole des temps
révolus, sera au programme de la semaine prochaine. Parce que c’est l’une des
promesses d’Obama et parce que c’est aussi cette honte-là que les Américains
veulent laver.
D’ailleurs, les langues se délient. Cette semaine,
Bob Woodward, l’un des enquêteurs historiques du Washington Post, a publié un
long entretien avec une ancienne juge, dont la mission est d’évaluer quels
procès peuvent légalement être faits aux détenus de Guantanamo. Et donc, pour
la première fois, une responsable officielle déclare que les Etats-Unis ont
torturé un Saoudien accusé d'avoir voulu devenir le "20ème pirate de l'air"
des attentats du 11 Septembre : les détails qu’elle donne sur les
maltraitances et humiliations subies par ce prisonnier sont accablants:
sévices, absence de sommeil, isolement, simulations de noyade…
Cette semaine, à Dupont-Circle, une des places les
plus passantes de Washington, il y avait une manifestation réclamant la
fermeture, dans les 100 jours, de ce centre de détention. Des figurants, dans
la tenue orange des prisonniers de cette île hors du monde et du droit, cagoule
noire sur la tête, mains liées derrière le dos, se tenaient en silence,
certains à genoux, pancarte autour du cou, frigorifiés. Ces militants, eux
aussi, attendent tout d’Obama.
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Le miracle de l’Airbus posé sans dommages sur la
Hudson River à New York a, durant quelques heures distrait l’attention, mais
sinon, chacun ici ne pense qu’à l’événement planétaire de mardi. Sur le Mall
sont dressées depuis quelques jours d’énormes tentes blanches et les sanisettes
sont alignées. Devant le Capitole, les estrades sont montées. Partout dans Washington,
on peut louer smokings et robes du soir pour les bals où le couple présidentiel
fera une apparition. Deux millions d’envahisseurs vont-ils vraiment déferler
sur la ville ? Tout dépendra du temps, car le vent, ces jours-ci, est
glacial qui balaye les grandes artères de DC. La météo de mardi, est en fait
l’unique sujet de conversation du week end.
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Les cieux devront donc être cléments et les dieux
accompagner le nouveau Président. Nous sommes en Amérique où la religion se
mêle à la vie, et où, dans la plus sérieuse des interviews, Obama peut
s’interroger sur la paroisse qu’il va désormais fréquenter. Un économiste
pourtant très rationnel, et à la tête d’un think tank des plus sérieux me
disait l’autre jour, sans sourire: « Je crois que Dieu nous a envoyé Obama
pour régler nos problèmes ». Pas de doute : nous sommes bien le
dernier dimanche de l’ère « av-BO ».
Anne Sinclair
Blog : annesinclair.fr
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