Aujourd'hui je fais le reporter, celle qui regarde, et interprète, fascinée de suivre pendant quelques heures d'affilée la réception d'Hu Jin Tao à la Maison Blanche, qui sera suivie ce soir d'un State Dinner, un dîner d'Etat comme pour chaque grande occasion. Pendant que les sirènes de police ne cessent de hurler dans les rues de Washington et les hélicoptères de survoler les maisons à basse altitude.
L'arrivée ce matin de Mr Hu accueilli par Michelle et Barack Obama était déjà pleine de signifiant. Pompes et circonstances. Drapeaux, hymnes (c'est fou ce que l'hymne chinois a des sonorités militaires passe-partout et occidentales), revue des troupes. Je me disais in petto que Hu Jin Tao, s'il comparait les défilés des chars sur la Place Tien An Men avec les petits bataillons folkloriques des soldats de la Guerre d'Indépendance qui paradait sur la pelouse sud de la White House en déguisement d'époque, a dû se faire une fausse idée de la puissance américaine. Ca faisait spectacle de fin d'année à l'école auprès des danseurs du Bolchoï!!( précision: by the way j'ai toujours aimé les spectacles des écoles surtout quand mes gamins y participaient, et le Bolchoï peut être très ennuyeux- mais nous nous égarons!).
Donc arrivée intéressante ce matin d'un homme-sphinx reçu par un homme à l'aise.
A l'heure du déjeuner, conférence de presse commune: encore plus intéressant. La traduction simultanée qui marchait bien au départ est devenue assez vite hors d'usage et les échanges étaient longs à traduire après coup.
Coopération, blabla, importance de la globalisation, blabla, volonté de poursuivres les échanges, blabla. Bref du convenu de rencontre des deux chefs d'Etat les plus importants de la planète, sans qu'il soit dit une seconde qu'ils sont tous deux fragilisés. Hu Jin Tao, par des batailles secrètes mais de moins en moins, au sein des classes dirigeantes chinoises. Obama, par des batailles publiques auprès de l'opinion américaine et d'une Chambre des Représentants qui veut voter dès aujourd'hui le rejet de la loi sur le Health Care!
Le plus intéressant étaient les postures: Obama et Hu Jin Tao ont tous deux lu les communiqués préparés à l'avance et ratifiés par les deux côtés. Mais l'un s'accoudait au pupitre en regardant l'autre parler. Et Mr Hu était de marbre, fixe, regardant droit devant lui, accroché à son oreillette tant qu'elle marchait encore, sans un regard à Mr O qui lui, le fixait, intrigué de savoir ce qu'il y avait sous le masque. Sans doute 1 milliard et demi d'hommes...
Tout d'un coup on lève l'oreille et on ouvre l'oeil: Obama est en train de faire un couplet obligé - mais plus long que je ne l'aurais pensé - sur les Droits de l'Homme Universels et le Tibet. Tiens tiens.
Puis viennent les questions. La première, agressive pour Hu Jin Tao sur les Droits de l'Homme. Il ne bronche pas, mais son oreillette elle, a l'air débranchée. Obama répond avec mesure et fermeté: désaccord entre les deux puisssances, mais progrès en Chine depuis 30 ans que sont rétablies les relations. Et les Droits de l'homme dans un pays en développement, ça veut dire aussi se nourrir, se loger, s'éduquer. Les intransigeants diront "voilà bien le relativisme en matière de droits de l'homme". Les autres diront, ce n'est pas faux même si ce n'est pas suffisant.
Hu Jin Tao laisse passer sans réponse, et on se dit, qu'il ignore volontairement la question, qu'il n'a pas l'habitude des questions ouvertes d'une presse libre et qu'il ne répond qu'à la journaliste de la télé chinoise (coopération balabla, commerce blabla, puissances mondiales blabla).
Un journaliste de Bloomberg se lève et fait deux interventions non politiquement correctes: 1) il demande a Obama l'éternelle question sur la monnaie chinoise qu'on dit sous évaluée. Et 2) reformule à hu Jin Tao la question restée sans réponses sur les Droits de l'Homme.
Et là, le masque s'est animé quelques secondes. L'oreillette était en panne et il n'avait pas entendu la première fois. Oh que si, il veut bien répondre: que les droits de l'homme en Chine ont fait des progrès et qu'il en reste beaucoup à faire. Blabla. Mais enfin, il répond, courtoisement, à des questions un peu "rough" comme on dit ici, directes en tout cas.
Ca n'a l'air de rien ce que je vous raconte, juste une scène vue en gros plan. Je n'en tire aucune leçon géopolitique, sinon que ces deux pays ont intérêt à s'écouter sinon à s'entendre. Qu'ils ne se comprennent pas toujours, mais que la mondialisation les oblige à se parler, à coopérer, à unir leurs forces dans l'intérêt du monde et leur intérêt propre. Bref, un partage du monde à la Yalta entre deux géants, pas très frais, avec chacun leurs faiblesses, mais indiscutablement leur puissance. Enorme.
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